Projet de loi C-290 – Loi modifiant la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles

Mémoire présenté au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires le 12 mai 2023

Je suis heureux de faire part de mon point de vue sur le projet de loi C-290 – Loi modifiant la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Le Commissariat est un organisme indépendant, il est responsable du régime de dénonciation externe du secteur public fédéral, et il a été créé en vertu de la Loi en question. Toute modification de la Loi aura un impact important sur le Commissariat et sur notre travail.

En 2017, le Comité a entrepris un examen de la Loi, et il a formulé un certain nombre de recommandations de modification, dont plusieurs découlent de mon témoignage. Le projet de loi C-290 contient six des 16 recommandations que j’ai formulées, ainsi qu’un certain nombre d’autres dont les impacts potentiels varient. Parmi celles qui vont dans le sens de mes recommandations précédentes, on trouve la suppression de l’exigence de bonne foi, tant pour les divulgations d’actes répréhensibles que pour les plaintes en matière de représailles; ainsi que le renversement du fardeau de la preuve au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. J’appuie entièrement les modifications proposées, qui ont le potentiel d’améliorer la Loi et d’offrir une meilleure protection aux personnes qui font une divulgation.

Le projet de loi C-290 comprend également certains articles qui auraient une incidence sur les dispositions de la Loi relatives à la confidentialité. Par exemple, le projet de loi propose l’inclusion d’un nouvel article qui obligerait le commissaire à demander le consentement des personnes avant de dévoiler leur participation à une enquête. La confidentialité est un pilier de notre travail. Dans certains cas, toutefois, par exigence juridique et en raison des principes d’équité procédurale et de justice naturelle, nous devons divulguer des renseignements qui peuvent identifier les personnes impliquées dans une enquête. Mon dernier rapport sur le cas, qui a été déposé au Parlement en octobre 2022, illustre cette exigence opérationnelle. Au cours de l’enquête, nous avons dû partager ce que des témoins ont rapporté sur le mauvais traitement et les mensonges de l’auteur des actes répréhensibles afin de corroborer le témoignage d’autres personnes qui étaient présentes à ce moment-là.

J’ai formulé, dans le cadre de l’examen législatif de 2017, des recommandations qui visent à renforcer la confidentialité des divulgations d’actes répréhensibles et des plaintes en matière de représailles. De plus, l’expérience récente nous a appris qu’il est essentiel d’inclure dans la Loi de nouvelles dispositions relatives à la confidentialité des procédures judiciaires. La Loi prévoit une exclusion de la Loi sur l’accès à l’information afin qu’on ne puisse pas contourner les dispositions relatives à la confidentialité au moyen d’une demande d’accès. Toutefois, cette exception ne s’étend pas aux procédures judiciaires. Dans le passé, au cours de contrôles judiciaires de mes décisions prises en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, le Commissariat a tenté de protéger les noms des divulgateurs et des témoins en caviardant l’information des documents de la Cour, mais nous avons eu un succès limité. L’obligation de produire des documents non caviardés découle du principe de la publicité des débats judiciaires, et les tribunaux ont jugé que ce principe l’emportait sur la Loi. Dans le but de mieux protéger les divulgateurs, je propose l’inclusion d’une clause qui protégerait l’identité des divulgateurs et des témoins au cours d’une enquête, s’ils font l’objet d’une procédure judiciaire. La Loi sur les divulgations faites dans l’intérêt public du Manitoba donne un exemple de ce à quoi pourrait ressembler une telle clause.

Le projet de loi C-290 élargit également la définition de fonctionnaire pour y inclure les entrepreneurs. À présent, le Commissariat opte pour une approche inclusive en interprétant la définition de fonctionnaire en vertu de la Loi. Si notre analyse d’un cas détermine qu’une personne entretient une relation d’employée avec un employeur de la fonction publique, nous la considérons alors comme une fonctionnaire aux fins de la Loi. Les entrepreneurs peuvent également faire des divulgations en tant que membres du public, comme tous les Canadiens.

Afin d’accroître la transparence, vraisemblablement, le projet de loi C-290 propose également que le rapport annuel du Commissariat comprenne des types précis de renseignements sur les organisations et les régions qui ont fait l’objet d’enquêtes, par exemple. La publication d’une telle information dans les cas où les allégations ne sont pas fondées pourrait nuire à la confidentialité des divulgateurs et des témoins. On doit également remarquer que le nombre d’allégations formulées au sein d’une organisation ou à son sujet n’est pas un indicateur efficace d’actes répréhensibles. Dans certains cas, un nombre élevé de divulgations provenant d’une seule organisation peut être en raison d’une culture saine qui soutient les divulgateurs, ce qui incite de nombreuses personnes à faire une divulgation, même dans les cas qui ne donnent pas lieu à une enquête.

Le projet de loi C-290 vise également à inclure de nouveaux types de représailles dans la Loi, telle que la cessation de contrats de biens et services. La Loi offre déjà une protection aux entrepreneurs en vertu du paragraphe 42.2(1). L’inclusion des entrepreneurs dans le régime de protection contre les représailles, prévue ainsi par la loi, obligerait le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles à se prononcer sur des questions de droit des contrats, plutôt que sur des plaintes en matière de représailles.

Le projet de loi C-290 préconise également de modifier la définition de « représailles » de manière importante. Ainsi, la définition s’appliquera à un fonctionnaire qui a été témoin d’une divulgation par un autre fonctionnaire, à un fonctionnaire qui a contribué à faire une divulgation avec un autre fonctionnaire, à un fonctionnaire qui a été pris pour un divulgateur, et aux entrepreneurs. En principe, bien qu’il soit souhaitable de protéger le plus grand nombre de personnes possible, une application aussi large risque de nuire à l’efficacité du régime et de le rendre extrêmement difficile à administrer. De ce fait, le lien entre une enquête sur une divulgation et une mesure de représailles pourrait être impossible à établir, alors que ce lien est fondamental pour le régime.

Le projet de loi C-290 propose la suppression des alinéas 20.4(3)b) et d), mais n’en justifie pas la raison. Cette suppression limiterait la capacité du commissaire de s’adresser au Tribunal dans les cas où l’enquête n’a pu être menée à terme en raison d’un administrateur général ou d’un auteur présumé de représailles qui n’ont pas coopéré. Le commissaire devrait raisonnablement pouvoir présenter une demande auprès du Tribunal et, sans ce pouvoir, des parties réticentes et potentiellement coupables pourraient effectivement interrompre les enquêtes en matière de représailles.

De plus, l’article 24 du projet de loi C-290 attribuerait au commissaire une fonction de vérificateur. Cette décision est de nature politique et relève du Parlement. Toutefois, il est possible qu’il y ait conflit entre les fonctions d’enquête et de vérification au sein du Commissariat. Ainsi, je suis d’avis que ce nouveau rôle reviendrait plutôt au Secrétariat du Conseil du Trésor, qui est l’organisme central responsable de l’orientation politique et de l’administration du régime interne. Le Commissariat est un organisme d’enquête externe et indépendant, qui n’est ni conçu ni bien placé pour juger de l’efficacité ou de la conformité des mécanismes de divulgation interne.

Certaines modifications proposées me semblent plus problématiques, et j’invite les membres du Comité à les examiner de très près. Ce sont celles qui redéfiniraient les actes répréhensibles en supprimant des qualificatifs importants – à savoir, la suppression du mot « grave » dans les expressions « cas grave de mauvaise gestion » et « contravention grave à un code de conduite ». Le Commissariat a élaboré et rendu publique une liste de critères pour évaluer si une allégation atteint le seuil de « grave ». Nous nous servons de cette liste non exhaustive lorsqu’il s’agit de déterminer si une allégation fera l’objet d’une enquête et si un acte répréhensible a été commis.

D’après ce que je comprends, et ce qu’ont dit les tribunaux, l’objectif de la Loi est de faire la lumière sur les actes répréhensibles d’une ampleur telle qu’ils pourraient miner la confiance des Canadiens dans le secteur public. Ces changements créeraient un tout nouveau régime de dénonciation avec un objectif différent, en exigeant que le Commissariat fasse enquête sur un nombre beaucoup plus élevé de divulgations. Dans toute organisation, il peut arriver qu’on commette des erreurs ou des infractions mineures. Ce genre d’incidents peuvent et doivent être traités par la direction, par le biais de mesures disciplinaires, de modes alternatifs de résolution des conflits, de procédures de griefs et d’autres outils. Le Commissariat n’est pas là pour remplacer la fonction de gestion de l’ensemble du secteur public.

Enfin, notre travail est guidé par les valeurs du secteur public – soit l’intendance, qui est l’utilisation et la gérance judicieuses des ressources publiques. Le projet de loi C-290 supprimerait les restrictions de la Loi qui interdisent qu’on s’adresse au Commissariat lorsqu’un autre mécanisme de recours plus approprié est déjà en place, ce qui entraîne un dédoublement de nos efforts. Le projet de loi propose également un changement majeur au régime de protection contre les représailles, en permettant qu’on s’adresse directement au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles dans les cas où je décide de ne pas faire un renvoi d’une plainte en matière de représailles. Ce type de système d’accès direct existe au niveau provincial, tel qu’au Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. La décision de permettre l’accès direct est une question de politique. Je tiens toutefois à souligner que ce n’est pas une utilisation prudente des ressources que de demander au Commissariat d’enquêter sur une plainte en matière de représailles si les résultats de l’enquête peuvent simplement être mis de côté.

En conclusion, je souhaite souligner que la Loi peut être améliorée, et qu’elle doit l’être, par des amendements dont certains sont repris dans le projet de loi C-290. Toutefois, certaines dispositions du projet de loi changeraient radicalement la nature du régime de dénonciation, ce qui pourrait s’avérer très problématique sur le plan pratique. J’ai remarqué que la présidente du Conseil du Trésor a été chargée d’examiner la Loi en vue de la modifier. J’ai hâte de contribuer à ce processus, quand on me le demandera.