Rapport sur le cas - Commission des libérations conditionnelles du Canada (mai 2024)

Conclusions de la commissaire à l’intégrité du secteur public dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles

Texte de la déclaration vidéo

Bonjour. Je suis Harriet Solloway, commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada. Aujourd’hui, j’ai déposé un rapport sur un cas d’actes répréhensibles à l’encontre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

À la suite d’une divulgation, nous avons lancé une enquête sur les allégations suivantes :

  • Qu’un commissaire à la CLCC, nommé par le gouverneur en conseil pour prendre des décisions sur la mise en liberté sous condition de délinquants, aurait harcelé sexuellement plusieurs employées à de multiples occasions sur une période de huit ans;
  • Et que la direction de la CLCC n’aurait pas pris de mesures suffisantes à l’endroit du comportement inapproprié.

Notre enquête a révélé des éléments de preuve qui démontrent que, à plusieurs reprises sur une période de huit ans à partir de 2014, le commissaire a fait des avances non désirées à quatre femmes qui travaillaient à un bureau régional de la CLCC. Ces instances comprennent des attouchements, des messages textuels et des appels téléphoniques obscènes et sexuellement suggestifs, un flirt importun et persistant, des invitations personnelles non sollicitées, et même un contact physique non désiré – c’est-à-dire un bec sur les lèvres lors d’un déjeuner de fête sur le lieu de travail.

Une employée a raconté de nombreuses situations inacceptables, notamment le fait que le commissaire a posé ses mains sur les épaules de l’employée concernée alors qu’elle travaillait à son bureau, qu’il lui a demandé à plusieurs reprises d’aller dîner avec lui, ce qu’elle a refusé. Le commissaire a tenté de faire pression sur cette employée pour qu’elle ait une discussion privée sur le lieu de travail. Elle a pris peur et s’est cachée dans les toilettes, mais il l’attendait toujours lorsqu’elle en est ressortie. L’employée se souvient de trembler de peur.

Il ne fait aucun doute que le commissaire a infligé humiliation et semé la peur, ce qui a causé un impact important sur les autres, même sur leur état de santé. Une d’entre elles a même démissionné de son poste.

Les éléments de preuve démontrent que la direction n’a pas pris de mesures suffisantes pour mettre fin au comportement du commissaire en 2015 ou pour le documenter. En fait, les incidents ultérieurs ont été traités comme s’il s’agissait d’une première instance. La direction a banalisé l’inconduite du commissaire en lui conseillant de « s’abstenir d’être trop amical avec les fonctionnaires ».

Dans les deux cas, la direction a informé les employés concernés que des mesures seraient mises en œuvre pour éviter ou réduire les contacts avec le commissaire. Pourtant, ces employés se sont retrouvés en présence du commissaire à de nombreuses reprises.

En ne prenant pas des mesures suffisantes pour protéger les employés concernés et en ne documentant pas les incidents. La direction de la CLCC a commis un cas grave de mauvaise gestion et a causé un risque grave et précis pour la santé et la sécurité des employés. En fait, l’affectation du commissaire a pris fin en 2020 et, malgré son inconduite depuis 2014, il fut reconduit par le gouverneur en conseil pour un second mandat. Si les incidents avaient été documentés de façon adéquate et transmis au gouverneur en conseil, il est probable que le commissaire n’aurait pas été reconduit pour un second mandat et qu’il n’aurait pas eu la possibilité de continuer son inconduite.

On ne devrait pas avoir à souligner qu'on doit se comporter de manière appropriée et traiter les autres avec respect. Lorsqu'une personne est en position d'autorité, elle a aussi un plus grand devoir de tenir les autres responsables de leurs actes et de protéger les personnes vulnérables. Dans ce cas, le commissaire à la CLCC a profité de sa position pour maltraiter et harceler les employés et d'autres personnes en position d'autorité n'ont pas pris de mesures suffisantes pour l'arrêter.

J’aimerais souligner les actions de la personne courageuse qui a divulgué les actes répréhensibles qui ont conduit à cette enquête, qui a révélé que d’autres personnes avaient également été affectées. Sans cette divulgation à mon Commissariat, l’inconduite du commissaire, ainsi que les actes et omissions de la direction de la CLCC n’auraient peut-être pas été exposés.

Cliquez pour consulter le rapport en version PDF.

ISBN 978-0-660-71494-3



Lettres

L’honorable Raymonde Gagné, sénatrice
Présidente du Sénat
Sénat du Canada
Ottawa (Ontario)  K1A 0A4

Madame la Présidente,

J’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur le cas concernant mes conclusions dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le rapport doit être déposé au Sénat conformément au paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

Le présent rapport fait état des conclusions sur des actes répréhensibles, des recommandations faites à l’administrateur général, des commentaires écrits de l’administrateur général et de mon avis quant au caractère satisfaisant de la réponse de l’administrateur général relativement aux recommandations.

Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de ma haute considération.

(La version originale a été signée par)

Harriet Solloway
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Ottawa, mai 2024


L’honorable Greg Fergus, C.P., député
Président de la Chambre des communes
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)  K1A 0A6

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur le cas concernant mes conclusions dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Le rapport doit être déposé à la Chambre des communes conformément au paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

Le présent rapport fait état des conclusions sur des actes répréhensibles, des recommandations faites à l’administrateur général, des commentaires écrits de l’administrateur général et de mon avis quant au caractère satisfaisant de la réponse de l’administrateur général relativement aux recommandations.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

(La version originale a été signée par)

Harriet Solloway
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Ottawa, mai 2024


Avant-propos

Je dépose au Parlement le présent rapport sur le cas fondé d’actes répréhensibles conformément à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi). Le rapport présente les conclusions de notre enquête sur une allégation selon laquelle un commissaire à la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) a maltraité des employées et s’est comporté de manière inappropriée, et sur la réponse de la direction de la CLCC à l’inconduite dudit commissaire.

En parvenant aux conclusions de notre enquête sur l’existence d’actes répréhensibles, on doit souligner que ledit commissaire est le seul responsable de son inconduite; toutefois, la direction de la CLCC a également créé un environnement où d’autres instances d’inconduite ont eu lieu en ne prenant aucune mesure suffisante.

Le présent rapport souligne le devoir de la direction de prendre des mesures lorsque le comportement inapproprié d’une personne en position de pouvoir a un impact négatif sur les employées. Il illustre également l’importance d’une documentation précise des incidents de harcèlement dans le milieu de travail.

Harriet Solloway
Commissaire à l’intégrité du secteur public

Mandat

Le Commissariat contribue à renforcer la reddition de comptes et à accroître la surveillance des activités du gouvernement ainsi :

  • Fournir un processus indépendant et confidentiel pour recevoir les divulgations d’actes répréhensibles dans le secteur public fédéral, ou concernant ce dernier, provenant des fonctionnaires et du grand public, et pour faire enquête sur celles-ci;
  • Déposer au Parlement des rapports sur les cas d’actes répréhensibles avérés et en formulant des recommandations de mesures correctives aux administrateurs généraux;
  • Offrir un mécanisme qui vise à traiter les plaintes en matière de représailles reçues des fonctionnaires et des anciens fonctionnaires dans le but de résoudre la situation, y compris par l’entremise de la conciliation et des renvois de cas au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs.

Le Commissariat est un organisme fédéral indépendant créé en 2007 dans le but de mettre en œuvre la Loi.

L’article 8 de la Loi définit ainsi les actes répréhensibles :

  1. la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente Loi;
  2. l’usage abusif des fonds ou des biens publics;
  3. les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;
  4. le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;
  5. la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;
  6. le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

La Loi prévoit que les enquêtes menées sur une divulgation ont pour objet de porter l’existence d’actes répréhensibles à l’attention de l’administrateur général de l’organisme concerné et de lui recommander des mesures correctives.

Selon la jurisprudence, la Loi est « conçue pour permettre aux employés du gouvernement fédéral de signaler des actes répréhensibles dans la fonction publique sans crainte de représailles ». Elle est « conçue pour s’assurer que les Canadiens sont protégés par une fonction publique légitime, transparente et sans corruption ». Enfin, la Loi « porte sur les actes répréhensibles d’une ampleur telle qu’ils pourraient miner la confiance du public s’ils n’étaient pas signalés et corrigés. Lorsque le commissaire est “saisi” d’une allégation d’acte répréhensible, il s’agit d’une question qui, si elle est fondée, implique une menace grave à l’intégrité de la fonction publique. »

La divulgation

Le 3 mars 2022, le Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada (le Commissariat) a reçu une divulgation d’actes répréhensibles concernant plusieurs instances de conduite inacceptable de la part de M. Michael Sanford, un commissaire à la CLCC. En mai 2022, le Commissariat a lancé une enquête sur les allégations suivantes :

  • M. Sanford a commis une contravention grave de codes de conduite en se comportant de manière inappropriée à l’égard d’employées à plusieurs reprises.
  • La direction de la CLCC a commis un cas grave de mauvaise gestion et a causé un risque grave et précis pour la santé et la sécurité des employées de la CLCC en ne prenant aucune mesure suffisante à l’endroit du comportement inapproprié de M. Sanford.

Vue d’ensemble de l’organisation

La CLCC est un tribunal administratif indépendant qui fait rapport au Parlement par l’entremise du ministre de la Sécurité publique. Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil nomme les commissaires à titre inamovible. Les commissaires sont chargés de prendre des décisions sur la mise en liberté sous condition pour des délinquants qui purgent des peines de ressort fédéral de deux ans ou plus, et pour des délinquants qui purgent des peines d’une durée de moins de deux ans dans les provinces et dans les territoires qui ne disposent pas de leur propre commission de libération conditionnelle.

La CLCC est également composée de fonctionnaires fédéraux qui sont chargés des fonctions organisationnelles telles que les politiques, les opérations, le développement professionnel, la formation et les communications. Les bureaux régionaux sont gérés par des directeurs généraux régionaux, qui supervisent les fonctionnaires, et des vice-présidents régionaux, qui supervisent les commissaires.

Au moment des incidents décrits ci-dessous, M. Sanford était un des commissaires au bureau régional situé à Kingston, en Ontario.

Conclusions de l’enquête

Notre enquête a révélé les conclusions suivantes :

  • M. Sanford a commis une contravention grave du Code de valeurs et d’éthique du secteur public et du Code de déontologie des commissaires à la CLCC lorsqu’il s’est comporté de manière inappropriée à l’égard d’employées.
  • La direction de la CLCC a commis un cas grave de mauvaise gestion et a causé un risque grave et précis pour la santé et la sécurité des employées de la CLCC en ne répondant pas de manière adéquate aux rapports sur l’inconduite de M. Sanford et en ne documentant pas de manière efficace les incidents de harcèlement.

Aperçu de l’enquête

Mme Christine Denis, une enquêteure principale au sein du Commissariat, a mené notre enquête avec l’aide de M. Dragos Iancu Leach, enquêteur. Ils ont interviewé 19 personnes et examiné de nombreux documents.

Conformément à la Loi, le personnel à la CLCC a pleinement collaboré à notre enquête.

Conformément à notre obligation de respecter la justice naturelle et l’équité procédurale, le Commissariat a donné à M. Sanford et aux membres de la direction de la CLCC, y compris Mme Jennifer Oades, présidente de la CLCC, la possibilité de répondre aux allégations en leur remettant notre rapport d’enquête préliminaire pour examen et commentaires.

Pour parvenir à mes conclusions, j’ai dûment pris en considération toutes les informations reçues au cours de notre enquête, y compris les commentaires en réponse à notre rapport d’enquête préliminaire.

Facteurs pris en considération pour conclure à l’existence d’un acte répréhensible

Pour que la commissaire puisse conclure à l’existence d’un acte répréhensible, défini à l’article 8 de la Loi, la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités. En droit canadien, cette norme de preuve signifie généralement qu’une conclusion est plus probable qu’une autre; en d’autres termes, il y a une plus grande probabilité d’une chose que d’une autre.

Cas graves de mauvaise gestion

Lorsqu’il y a enquête sur une allégation de cas grave de mauvaise gestion au sens de l’alinéa 8c) de la Loi, le Commissariat tient notamment compte des facteurs suivants :

  • des problèmes importants;
  • de graves erreurs non sujettes à débat entre des personnes raisonnables;
  • des actes qui dépassent le simple acte répréhensible ou la simple négligence;
  • des actes ou des omissions de la gestion qui créent un risque important de conséquences néfastes graves sur la capacité de l’organisme, du bureau ou de la section de s’acquitter de sa mission;
  • des actes ou des omissions de la gestion qui représentent une grave menace pour la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, et il ne s’agit pas principalement d’une affaire de nature personnelle telle qu’une plainte individuelle de harcèlement ou un grief individuel relatif au milieu de travail;
  • la nature intentionnelle de l’acte;
  • la nature systémique de l’acte répréhensible.

Causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines

L’alinéa 8d) de la Loi est relativement explicite et prévoit quant à l’existence d’actes répréhensibles s’il y a « des motifs raisonnables de croire que l’acte ou l’omission qui est visé par la divulgation constitue […] un risque imminent, grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement. »

La définition d’un acte répréhensible à l’alinéa 8d) envisage une situation importante. De plus, les qualificatifs « grave » et « précis » expriment clairement l’intention du Parlement de ne pas qualifier d’actes répréhensibles au sens de la Loi des situations moins sérieuses où la possibilité de créer un risque est plutôt peu probable.

Contravention grave d’un code de conduite

Pour établir si une action ou une omission constitue une contravention « grave » d’un code de conduite au sens de l’alinéa 8e) de la Loi, il faut tenir compte des éléments caractéristiques suivants :

  • la contravention constitue un écart important par rapport aux pratiques généralement acceptées au sein du secteur public fédéral;
  • les conséquences actuelles ou éventuelles de la contravention sur les employés ou les clients de l’organisme en cause, ou sur la confiance du public, sont importantes;
  • l’auteur allégué des actes répréhensibles occupe au sein de l’organisme un poste d’un niveau hiérarchique élevé ou nécessitant un niveau de confiance élevé;
  • il ne fait aucun doute qu’une personne raisonnable conclurait que des erreurs graves ont été commises;
  • la contravention du(des) code(s) de conduite applicable(s) est de caractère systémique ou endémique;
  • les contraventions au(x) code(s) de conduite applicable(s) sont répétées, ou diverses contraventions ont eu lieu sur une longue période;
  • le caractère délibéré ou insouciant de la contravention du(des) code(s) de conduite applicable(s) est marqué;
  • la contravention représente une menace grave pour la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, et il ne s’agit pas seulement d’une affaire de nature personnelle telle qu’une plainte individuelle de harcèlement ou un grief individuel relatif au milieu de travail.

Résumé des conclusions

Les éléments de preuve obtenus au cours de notre enquête démontrent que, à plusieurs reprises sur une période d’environ huit ans, M. Sanford a fait des avances non désirées à des employées. Ces instances comprennent des attouchements, des commentaires inappropriés, des appels téléphoniques et des messages textuels non sollicités.

Les éléments de preuve démontrent également que la direction de la CLCC n’a pris aucune mesure suffisante pour mettre fin au comportement de M. Sanford en 2015 ou pour le documenter. En fait, il a été reconduit pour un second mandat en 2020 et s’est ensuite comporté de manière inappropriée à l’égard d’au moins deux autres employées.

Employée A

Le Commissariat a d’abord enquêté sur les instances survenues en 2014 et 2015. L’employée A a déclaré qu’elle a été mal à l’aise par les avances de M. Sanford lors de leur première rencontre, en avril 2014. Il l’a appelée « belle » d’une manière flirteuse et à plusieurs reprises, même après qu’elle lui avait demandé d’arrêter. M. Sanford a également pressé ses cuisses contre les siennes et posé ses mains sur ses épaules et ses bras. Des collègues ont remarqué ce comportement inapproprié et l’ont signalé au supérieur de l’employée A, qui lui a recommandé de parler à M. Sanford. Elle l’a fait et le comportement a cessé.

Après quelques mois, toutefois, le comportement de M. Sanford s’est exacerbé. En mai 2015, lors de la planification d’un voyage d’affaire, il a suggéré à l’employée A qu’ils réservent des chambres dans un hôtel différent des autres participants et organiser un dîner en tête-à-tête. Il lui a également transmis une chanson qui faisait allusion à une liaison amoureuse.

L’employée A a signalé ces instances à son supérieur, mais elle a refusé de déposer une plainte officielle, craignant qu’on lui dise que c’est « la parole de l’un contre la parole de l’autre » et qu’elle mette sa crédibilité en cause.

La direction de la CLCC a tenté de résoudre l’affaire en entamant des discussions informelles avec l’employée A et M. Sanford. La direction de la CLCC a également demandé à M. Sanford de ne pas voyager ou travailler seul avec l’employée A, et le comportement inapproprié de M. Sanford a cessé à la suite de cette intervention.

Employée B

Au cours de notre enquête, le Commissariat a découvert des éléments de preuve afférents à d’autres instances survenues en 2019. À une occasion, M. Sanford s’est présenté dans l’espace de travail de l’employée B et a commencé à lui chanter une chanson romantique. Il l’a également accueillie avec un baiser sur les lèvres lors d’un déjeuner de fête.

Les éléments de preuve démontrent qu’on n’a pas porté ces incidents à l’attention de la direction de la CLCC, qui n’aurait donc pas pu les traiter. Ils soulignent toutefois la manière répétée de l’inconduite de la part de M. Sanford et appuient la conclusion selon laquelle il a commis une contravention grave de codes de conduite.

Employée C

L’employée C travaillait avec M. Sanford sans incident pendant plusieurs années quand, en mai 2020, il a commencé à se comporter de manière inappropriée avec elle. Les événements se sont aggravés lorsque l’employée C a reçu une série de textos dans lesquels M. Sanford lui demandait si elle souhaitait une photo de lui. Il lui déclarait aussi qu’il se sentait tout seul (« lonely ») et qu’il était très excité (« horny »). L’employée C lui a répondu : « Quoi??? Arrête de m’écrire! », mais M. Sanford n’a pas cessé et l’a même appelée tard dans la soirée.

Au cours de notre enquête, l’employée C a fait remarquer qu’elle n’avait jamais donné à M. Sanford l’impression qu’il l’intéressait. Elle a déclaré que M. Sanford l’avait « harcelée sexuellement » et qu’il lui trouvait des excuses lorsqu’elle repoussait ses avances et la suppliait de n’en parler à personne.

L’employée C a envoyé un courriel à son supérieur pour signaler le harcèlement. On lui a ensuite dit qu’on avait conseillé à M. Sanford de ne pas avoir de contact avec elle, que la direction de la CLCC mettrait en œuvre des mesures et qu’elle ne participerait plus à des rencontres avec M. Sanford.

On a dit à M. Sanford « d’éviter de venir au bureau à moins qu’il ne soit absolument nécessaire de s’y rendre ». En fait, M. Sanford a commencé à se présenter au bureau pour des journées entières deux à trois fois par semaine une fois qu’on avait mis en œuvre ces mesures, et il est revenu travailler au bureau à temps plein après quelque temps. La direction de la CLCC n’a pris aucune autre mesure pour mettre fin à cette situation. Les mesures prises n’ont pas protégé l’employée C de manière suffisante, et les éléments de preuve démontrent que celle-ci s’est retrouvée en sa présence à plusieurs reprises.

L’impact du comportement inapproprié de M. Sanford ne peut être surestimé. L’employée C a déclaré qu’elle était embarrassée et humiliée. Elle se sentait dégoûtée l’aise et craignait que M. Sanford n’entre chaque fois qu’une porte s’ouvrait au bureau. En outre, l’employée C a été en congé de maladie pendant plusieurs semaines en raison de sa détresse.

Employée D

Les éléments de preuve démontrent que M. Sanford s’est comporté de manière inappropriée à l’égard de l’employée D de septembre 2021 à janvier 2022. Après plusieurs incidents qui l’ont mise mal à l’aise, l’employée D s’est rendu compte qu’elle était « victime de harcèlement sexuel ». Voici quelques instances :

  • M. Sanford a indiqué à l’employée D qu’il avait des problèmes conjugaux et qu’il se sentait seul, et l’a invitée à prendre un verre.
  • M. Sanford a posé ses mains sur les épaules de l’employée D alors qu’elle travaillait dans son espace de travail.
  • M. Sanford a communiqué avec l’employée D plusieurs fois pour lui proposer des soupers en tête-à-tête, ce qu’elle a refusé.
  • M. Sanford a fait des commentaires précis et obscènes sur le corps de l’employée D.

Après des mois de contacts non désirés, la situation a culminé avec un incident en janvier 2022. M. Sanford a demandé à parler à l’employée D et s’est montré insistant devant son refus. L’employée D a pris peur et s’est cachée dans les toilettes. Lorsqu’elle en est sortie, M. Sanford l’attendait toujours et a essayé de la faire entrer seule dans une salle d’audience. L’employée D a pu se rendre à son espace de travail et a demandé à un collègue de l’attendre pour qu’ils partent ensemble. Elle tremblait tellement le comportement inapproprié de M. Sanford l’avait affectée.

L’employée D a déposé une déclaration d’incident de harcèlement et de violence en milieu de travail en janvier 2022.

Impact du comportement inapproprié de M. Sanford

Le comportement de M. Sanford représente sans aucun doute un écart important par rapport aux pratiques généralement acceptées; en effet, son comportement pourrait constituer un harcèlement sexuel. M. Sanford occupait un poste de haute responsabilité et de confiance au sein de la CLCC. De ce fait, son comportement a eu un impact négatif et grave sur plusieurs employées, et il a continué à se comporter de manière inappropriée sur une période d’environ huit ans. Les éléments de preuve démontrent clairement que M. Sanford a contrevenu le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et le Code de déontologie des commissaires à la CLCC.

À la suite des instances survenues avec l’employée A, M. Sanford a été informé que son comportement était inapproprié et qu’il devait le cesser. Malgré cela, M. Sanford a harcelé trois autres employées. L’impact de ces incidents ne peut être surestimé. Quatre employées ont subi des conséquences négatives qui ont entraîné des maladies, des humiliations, la peur sur le lieu de travail et, dans un cas, une démission de la fonction publique.

L’inconduite à caractère sexuel doit être prise au sérieux, en particulier lorsqu’il s’agit d’un commissaire nommé par le gouverneur en conseil qui occupe un poste important auprès des fonctionnaires et qui se doit de respecter les normes les plus élevées en matière d’éthique et de conduite professionnelle.

Inconduite antérieure et mesures insuffisantes

En 2020, l’employée A a fait savoir à la direction de la CLCC qu’elle était consternée qu’on ait reconduit M. Sanford pour un second mandat, soulignant l’inconduite antérieure de celui-ci à son égard. Plus tard dans l’année, en réponse à des instances qui impliquaient l’employée C, la direction de la CLCC n’a pas tenu compte de l’inconduite de nature similaire de la part de M. Sanford, ce qui démontre une ignorance délibérée. Les actions et les omissions de la part de la direction de la CLCC constituent un cas grave de mauvaise gestion et ont causé un risque grave et précis pour la santé et la sécurité des employées qui travaillaient au bureau régional situé à Kingston, en Ontario.

La direction de la CLCC a manqué à l’obligation de créer et de maintenir un environnement de travail sûr pour les employées. Dans plusieurs des incidents décrits ci-dessus, on a mis en œuvre des mesures insuffisantes pour faire face au comportement inapproprié de M. Sanford et pour protéger les employées. En outre, la direction de la CLCC a banalisé l’inconduite de M. Sanford en lui conseillant de « s’abstenir d’être trop amical avec les fonctionnaires », ne lui faisant pas comprendre que sa conduite était totalement inacceptable et qu’il devait cesser d’agir ainsi. M. Sanford a continué à se comporter de manière inappropriée envers les employées sur une période d’environ huit ans.

Une action rapide et efficace à l’endroit d’instances d’inconduite n’est qu’une partie de la responsabilité de la direction de la CLCC. On peut raisonnablement supposer que la direction de la CLCC aurait dû documenter l’inconduite de M. Sanford en son comble. Les éléments de preuve démontrent qu’on n’a pas correctement documenté les instances survenues en 2014 et 2015 et qu’on n’a pas conservé la documentation qui existait. On peut conclure que cette grave erreur a fait en sorte que les nouveaux membres de la direction de la CLCC ont pu ignorer les éléments de preuve qui démontraient l’inconduite antérieure de M. Sanford, ainsi contribuant à ce qu’il soit reconduit pour un second mandat.

La direction de la CLCC a omis de prendre toutes les mesures raisonnables pour éviter que la situation ne se reproduise, ni en répondant de manière adéquate à l’inconduite de la part de M. Sanford ni en documentant ces instances. Ce fait est de grande importance compte tenu de l’impact sur les victimes, l’environnement de travail et la confiance du public à l’égard d’une organisation qui traite de questions aussi sensibles que la prise de décisions en matière de libération conditionnelle.

Conclusion

Je ne devrais pas avoir à déclarer qu’on doit se comporter de manière appropriée et traiter les autres avec respect. Lorsqu’une personne est en position d’autorité, elle a aussi un plus grand devoir de tenir les autres responsables de leurs actes et de protéger les personnes vulnérables. Dans ce cas, M. Sanford a profité de sa position pour maltraiter et harceler des employées, et d’autres personnes en position d’autorité n’ont pas pris les mesures suffisantes pour l’arrêter.

M. Sanford a infligé humiliation et semé la peur, causant clairement un impact important sur les autres, même sur leur état de santé. De plus, la direction de la CLCC a aggravé la situation en omettant de traiter les incidents avec sérieux et de veiller à ce que les personnes chargées des nominations à la CLCC soient au courant de l’inconduite de M. Sanford. Cette situation est d’autant plus troublante qu’en 2014, le Commissariat a fait rapport sur des incidents semblables à la CLCC et a formulé quatre recommandations, dont celle-ci : « que le président mette en œuvre un processus structuré pour évaluer les renseignements concernant le comportement passé en milieu de travail de candidats éventuels au poste de commissaire, avant qu’ils ne soient déclarés aptes à exercer les fonctions d’un tel poste. »

En me fiant aux éléments de preuve, je conclus que M. Sanford a contrevenu le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et le Code de déontologie des commissaires à la CLCC. Je conclus également que la direction de la CLCC a commis un cas grave de mauvaise gestion et a causé un risque grave et précis pour la santé et la sécurité des employées dans sa gestion des incidents décrits ci-dessus.

Recommandations de la commissaire et réponses de CLCC

Conformément à l’alinéa 22h) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, j’ai fait les recommandations suivantes à Mme Jennifer Oades, présidente de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC), en sa qualité d’administratrice générale, concernant des mesures correctives. Je suis satisfaite des réponses de Mme Oades à mes recommandations, et prends acte de la réponse selon laquelle le gouverneur en conseil (GEC) – et non la direction de la CLCC – effectue la vérification finale des personnes nommées à la CLCC. Néanmoins, ce que je recommande est que la direction de la CLCC devrait transmettre au GEC toutes instances d’inconduite afin que le GEC puisse en tenir compte dans le processus de qualification.

Je demanderai un compte rendu sur chacune d’entre elles au cours des six prochains mois pour veiller à ce qu’elles soient bien prises en compte.

Mes recommandations et les réponses de la CLCC sont les suivantes.

1. Je recommande à la CLCC de mettre en œuvre la recommandation formulée en 2014 par le commissaire en exercice, « que [la présidente] mette en œuvre un processus structuré pour évaluer les renseignements concernant le comportement passé en milieu de travail de candidats éventuels au poste de commissaire, avant qu’ils ne soient déclarés aptes à exercer les fonctions d’un tel poste. »

La CLCC confirme que les quatre recommandations suggérées par votre bureau en 2014 ont été entièrement mises en œuvre. Toutefois, la Commission discutera et examinera le processus de qualification des gouverneurs en conseil (GEC) en consultation avec le Bureau du Conseil privé (BCP) qui supervise le processus des nominations du personnel supérieur. En vertu d’une délégation de pouvoir du premier ministre au ministre de la Sécurité publique, la CLCC mène des activités d’évaluation préalable en partenariat avec des représentants du BCP, de Sécurité publique Canada et du cabinet du ministre afin de déterminer l’aptitude à obtenir une nomination à titre de gouverneur en conseil (commissaire / membre de la Commission), toutefois, la vérification finale ne relève pas de la compétence de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

2. Je recommande à la CLCC de mettre en œuvre des politiques et des procédures pour gérer les informations relatives aux incidents de harcèlement en milieu de travail, afin de protéger les employés du harcèlement potentiel de la part d’auteurs connus.

La CLCC examinera ses politiques et procédures concernant le harcèlement en milieu de travail, en particulier pour examiner les pratiques de gestion de l’information liées aux incidents de harcèlement.

Notamment, le 27 septembre 2022, la CLCC a adopté une Politique sur la prévention du harcèlement et de la violence en milieu de travail et a mis à jour son Code de déontologie des commissaires ainsi que le Processus de résolution des plaintes visant les membres afin de refléter cette politique.

3. Je recommande à la CLCC de procéder à un examen de la gestion du bureau régional situé à Kingston, en Ontario, en accordant une attention particulière au bien-être en milieu de travail.

J’ai ordonné qu’un examen de la gestion soit effectué. Une évaluation du mieux-être au travail fut réalisée dans la région de l’Ontario de la CLCC en mai 2021 et servira à supporter cet examen de la gestion.

Commentaires additionnels de la CLCC

Je crois que les recommandations contenues dans votre rapport soutiendront les efforts continus de la Commission afin d’assurer un milieu de travail sain, sûr et sans harcèlement qui protège le mieux-être du personnel et des commissaires.

Je souhaite mettre en contexte la conclusion selon laquelle la direction de la CLCC a commis des actes répréhensibles. Bien que je convienne que les incidents survenus en 2014 et 2015 n’aient pas été correctement documentés, je ne suis pas d’accord avec le fait que ces « erreurs graves ont permis à la nouvelle direction de la CLCC d’ignorer les preuves de la mauvaise conduite antérieure de M. Sanford », et ont supporté sa nomination à la Commission en 2020. La nouvelle direction de la CLCC ne disposait pas de cette information et ne pouvait donc pas agir en conséquence. J’aimerais également préciser que M. Sanford a dû présenter une nouvelle demande pour sa deuxième nomination et qu’il a été soumis à un processus ouvert, transparent et fondé sur le mérite, comprenant des questions liées au comportement antérieur en milieu de travail à l’étape de l’entrevue et de celle des références.

J’aimerais également souligner que le 9 mars 2022, j’ai exercé mon autorité conformément au paragraphe 155.1(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) afin de recommander au ministre de la Sécurité publique qu’une revue judiciaire soit tenue à la suite du comportement de M. Sanford. Cette disposition de la LSCMLC est le seul mécanisme disponible pour exercer des mesures disciplinaires, suspendre sans traitement ou révoquer le commissaire en cause de la CLCC. Le ministre avait accepté de lancer cette enquête le 25 avril 2022 et lorsqu’avisé de cette décision, M. Sanford a démissionné.

En conclusion, la Commission s’engage à assurer le mieux-être de tous les employés et commissaires de la CLCC, et prendra toutes les mesures nécessaires pour promouvoir et favoriser un lieu de travail sain, positif et exempt de harcèlement.