Rapport sur le cas - ministère de la Défense nationale (septembre 2023)

Conclusions du commissaire à l’intégrité du secteur public dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles

Texte de la déclaration vidéo

Bonjour, je m’appelle Joe Friday, commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada. Aujourd’hui, j’ai déposé un rapport sur les cas d’actes répréhensibles à l’encontre du ministère de la Défense nationale.

Ce rapport, qui est mon dernier à titre de commissaire, aborde un sujet important pour tous les fonctionnaires – soit, l’application de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Le sujet de mon rapport porte sur les divulgations et les enquêtes faites au ministère, et l’enquête du Commissariat a mis au jour des retards systémiques dans la publication des conclusions sur des actes répréhensibles au sein du ministère et des Forces armées canadiennes.

À la suite d’une divulgation, le Commissariat a lancé une enquête sur une allégation selon laquelle des dirigeants du ministère n’ont pas rendu publique de l’information faisant état d’actes répréhensibles fondés au sein des Forces. Une divulgation ultérieure alléguait que des dirigeants n’avaient pas fourni aux lanceurs d’alerte les conclusions sur des actes répréhensibles fondés au sein du ministère et des Forces. La Loi exige expressément à tout administrateur général de mettre promptement à la disposition du public l’information concernant des actes répréhensibles au sein d’une organisation dès la conclusion d’une enquête interne. Cette exigence en matière de transparence est une obligation légale.

L’enquête du Commissariat a porté sur des éléments de preuve liés à des actes répréhensibles divulgués de 2015 à 2020 – c’est-à-dire, la période allant de la dernière mise à jour du site Web du ministère au lancement de l’enquête du Commissariat. Dans cette période, il y a eu trois cas d’actes répréhensibles fondés au sein du ministère et des Forces. Cependant, aucun de ces cas n’a été rendu public avant 2021 ou 2022, et seulement après le lancement de l’enquête du Commissariat.

Les éléments de preuve ont soutenu une tendance quant au processus de divulgation au sein du ministère et des Forces. Les cas d’actes répréhensibles fondés n’étaient pas rendus publics et, parfois, les lanceurs d’alerte n’apprenaient pas les conclusions des enquêtes internes en temps opportun. Des témoins avaient de nombreuses préoccupations quant à la manière dont les affaires étaient traitées.

Dans un cas, des dossiers avaient été remis à la direction pour décision « pour ne jamais être conclus ». Un témoin a qualifié de « chaos » la procédure subséquente à une enquête interne. Et d’autres témoins ont déclaré que « [la procédure] n’avait aucun sens » et que la direction avait tardé à communiquer un dossier sans raison.

Les conclusions de notre enquête sont troublantes. Les fonctionnaires doivent pouvoir faire confiance à la haute direction. Faire une divulgation d’actes répréhensibles est un acte de courage d’une grande difficulté, et les personnes qui le font ont le droit d’être tenues informées et de s’attendre à ce que tout cas soit rendu public. Malheureusement, dans le cas présent, les lanceurs d’alerte ont été laissés dans l’ignorance et n’ont eu d’autre choix que de faire une divulgation à nouveau, cette fois au sujet des personnes mêmes qui étaient censées faire la lumière sur les actes répréhensibles.

J’ai souligné la nécessité d’un changement de culture dans le secteur public fédéral. Les résultats du dernier Sondage auprès des fonctionnaires marquent clairement que tout haut dirigeant doit créer des environnements où les lanceurs d’alerte se sentent appuyés et en sécurité.

De plus, les recherches effectuées par le Commissariat montrent que les fonctionnaires pensent qu’il ne sert à rien de dénoncer les abus, parce qu’il n’y aura pas de conséquences pour les auteurs de méfaits et que les choses ne changeront jamais. La crainte des représailles et le cynisme constituent un puissant facteur de dissuasion et sapent l’objectif de la Loi, ainsi que la confiance dans le secteur public fédéral. En tardant à rendre publiques les conclusions des enquêtes internes, le ministère a contribué à ce cynisme et a déçu ses employés, en plus d’ébranler leur confiance dans le système conçu pour les protéger et pour mettre au jour les actes répréhensibles.

Compte tenu des éléments de preuve découverts et examinés au cours de l’enquête du Commissariat, j’estime qu’il y a eu une défaillance dans la gestion du processus de divulgation au sein du ministère et des Forces, ce qui soulève un problème systémique et un manque de responsabilité. Par conséquent, je conclus que le ministère de la Défense nationale a commis un acte répréhensible et que son inaction constitue une contravention de la Loi, ainsi qu’un cas grave de mauvaise gestion.

Ce document est également disponible en version PDF.

ISBN 978-0-660-49466-1

Remarque : Afin de ne pas identifier certains individus, et ce, sans discrimination, la forme masculine sera utilisée tout au long du présent rapport.



Lettres

L’honorable Raymonde Gagné, sénatrice 
Présidente du Sénat 
Sénat du Canada 
Ottawa (Ontario)  K1A 0A4

Madame la Présidente,

J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant mes conclusions dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre du ministère de la Défense nationale. Le rapport doit être déposé au Sénat conformément au paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

Le présent rapport fait état de mes conclusions sur des actes répréhensibles, des recommandations que j’ai faites à l’administrateur général, des commentaires écrits de l’administrateur général et de mon avis quant au caractère satisfaisant de la réponse de l’administrateur général relativement à mes recommandations.

Je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, l’expression de ma haute considération.

(La version originale a été signée par)

Joe Friday 
Commissaire à l’intégrité du secteur public 
Ottawa, septembre 2023


L’honorable Anthony Rota, député 
Président de la Chambre des communes 
Chambre des communes 
Ottawa (Ontario)  K1A 0A6

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant mes conclusions dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre du ministère de la Défense nationale. Le rapport doit être déposé à la Chambre des communes conformément au paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.

Le présent rapport fait état de mes conclusions sur des actes répréhensibles, des recommandations que j’ai faites à l’administrateur général, des commentaires écrits de l’administrateur général et de mon avis quant au caractère satisfaisant de la réponse de l’administrateur général relativement à mes recommandations.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

(La version originale a été signée par)

Joe Friday 
Commissaire à l’intégrité du secteur public 
Ottawa, septembre 2023


Avant-propos

Ce rapport sur le cas d’actes répréhensibles fondés, qui est mon dernier à titre de commissaire, a été déposé au Parlement comme l’exige la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi). Le rapport aborde un sujet important pour tous les fonctionnaires, à savoir l’administration de la Loi, car j’y présente les conclusions de notre enquête sur la publication tardive d’informations liées à des cas fondés d’actes répréhensibles au sein du ministère de la Défense nationale (le MDN) et des Forces armées canadiennes (les Forces). En vertu de la Loi, l’information sur les cas fondés d’actes répréhensibles qui font l’objet d’une enquête au sein des organisations fédérales doit être mise promptement à la disposition du public.

La Loi prévoit une procédure de divulgation interne et externe. Toute personne, y compris un fonctionnaire, peut faire une divulgation confidentielle d’actes répréhensibles au Commissariat. En outre, les fonctionnaires peuvent faire une divulgation d’actes répréhensibles à un agent supérieur ministériel désigné pour la divulgation interne ou à leur supérieur. Le présent rapport porte sur les divulgations et les enquêtes internes du MDN, ainsi que sur les constatations subséquentes d’actes répréhensibles.

À la suite d’une constatation d’actes répréhensibles au sein d’une organisation, la Loi exige que l’administrateur général doive mettre promptement à la disposition du public l’information concernant ces actes répréhensibles. À la suite d’une divulgation, le Commissariat a lancé une enquête sur une allégation selon laquelle des dirigeants du MDN ont commis des actes répréhensibles en ne mettant pas promptement à la disposition du public de l’information faisant état de cas fondés d’actes répréhensibles au sein des Forces. Une divulgation ultérieure alléguait que des dirigeants n’avaient pas fourni aux divulgateurs les conclusions de cas fondés d’actes répréhensibles au sein du MDN et des Forces.

Ce rapport sur le cas rappelle à tout administrateur général, et à chaque fonctionnaire participant à la procédure de divulgation interne de leur organisation, leurs responsabilités en vertu de la Loi. Le régime de dénonciation du secteur public fédéral ne peut être efficace que si les actes répréhensibles sont mis au jour.

Joe Friday 
Commissaire à l’intégrité du secteur public

Mandat

Le Commissariat contribue à renforcer la reddition de comptes et à accroître la surveillance des activités du gouvernement ainsi :

  • Fournir un processus indépendant et confidentiel pour recevoir les divulgations d’actes répréhensibles dans le secteur public fédéral, ou concernant ce dernier, provenant des fonctionnaires et du grand public, et pour faire enquête sur celles-ci;
  • Déposer au Parlement des rapports sur les cas d’actes répréhensibles avérés et en formulant des recommandations de mesures correctives aux administrateurs généraux;
  • Offrir un mécanisme qui vise à traiter les plaintes en matière de représailles reçues des fonctionnaires et des anciens fonctionnaires dans le but de résoudre la situation, y compris par l’entremise de la conciliation et des renvois de cas au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs.

Le Commissariat est un organisme fédéral indépendant créé en 2007 dans le but de mettre en œuvre la Loi.

L’article 8 de la Loi définit ainsi les actes répréhensibles :

  1. la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente Loi;
  2. l’usage abusif des fonds ou des biens publics;
  3. les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;
  4. le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;
  5. la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;
  6. le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

La Loi prévoit que les enquêtes menées sur une divulgation ont pour objet de porter l’existence d’actes répréhensibles à l’attention de l’administrateur général de l’organisme concerné et de lui recommander des mesures correctives.

La divulgation

En juillet 2020, le Commissariat a reçu une divulgation alléguant que des dirigeants n’ont pas mis promptement à la disposition du public de l’information faisant état d’un cas fondé d’actes répréhensibles au sein des Forces. Par conséquent, en octobre 2020, le Commissariat a lancé une enquête pour déterminer si le MDN avait commis un cas grave de mauvaise gestion, conformément à l’alinéa 8c) de la Loi.

En février 2021, le Commissariat a reçu une deuxième divulgation d’actes répréhensibles sur un sujet connexe et a lancé une enquête en avril 2021. Le divulgateur allègue que le MDN n’a pas informé un divulgateur de la conclusion d’une enquête interne sur la divulgation d’actes répréhensibles présentée il y a plus de quatre ans.

Aussi, en février 2021, sur la base des informations que nous avons obtenues, le Commissariat a élargi notre enquête pour déterminer si le MDN avait commis un cas grave de mauvaise gestion en ne mettant pas promptement à la disposition du public de l’information faisant état de cas fondés d’actes répréhensibles au sein du MDN et des Forces. En mars 2022, le sous-ministre du MDN et le greffier du Conseil privé ont été informés que notre enquête avait été élargie pour inclure l’allégation selon laquelle le MDN avait commis un acte répréhensible en vertu de l’alinéa 8a) de la Loi, en contrevenant à la Loi elle-même.

Vue d’ensemble de l’organisation

Le MDN appuie les Forces qui servent en mer, sur terre et dans les airs au sein de la Marine, de l’Armée de terre, de l’Aviation et des Forces d’opérations spéciales pour défendre les intérêts canadiens au pays et à l’étranger.

La compétence du commissaire sur les Forces

Le commissaire n’a pas compétence sur les Forces, car cette organisation est exclue de la définition du secteur public et les membres des Forces ne sont pas des fonctionnaires. Toutefois, l’article 52 de la Loi exige qu’une procédure de divulgation interne des actes répréhensibles soit établie au sein des Forces et que cette procédure doive être similaire à celle qui est prévue par la Loi. Cette procédure est le processus de divulgation au sein des Forces, mise en œuvre par la Direction des enquêtes et examens spéciaux (DEES). Cette direction mène des enquêtes internes sur les allégations d’actes répréhensibles commis au sein du MDN et des Forces. Le personnel de la DEES est composé d’employés du MDN qui sont des fonctionnaires au sens de la Loi. À cet égard, le commissaire a la compétence de mener une enquête et de prendre une décision dans cette affaire.

Le processus de divulgation au sein du MDN et des Forces

L’article 12 de la Loi prévoit que les fonctionnaires, y compris les employés du MDN, peuvent faire une divulgation d’actes répréhensibles à leur supérieur ou à l’agent supérieur ministériel désigné pour la divulgation interne. Comme indiqué ci-dessus, conformément à l’article 52 de la Loi, le chef d’état-major de la défense a établi une procédure similaire à celle prévue par la Loi pour la divulgation d’actes répréhensibles au sein des Forces.

La DEES assiste le sous-ministre adjoint (Services d’examen) [SMA(SE)] dans l’administration des procédures de divulgation interne et en sa qualité d’agent supérieur chargé pour la divulgation interne au sein du MDN et des Forces. La DEES est l’équipe chargée de mener des enquêtes sur les divulgations d’actes répréhensibles et de présenter les conclusions dans un rapport soumis à l’examen de son directeur. Si le directeur endosse les conclusions recommandées, des lettres officielles sont rédigées pour examen par le SMA(SE). Une fois les conclusions approuvées, les divulgateurs sont informés des conclusions de l’enquête interne. Les cas fondés d’actes répréhensibles sont ensuite affichés sur le site Web du MDN.

Conclusions de notre enquête

Notre enquête a révélé ce qui suit :

  • Le MDN a commis un acte répréhensible en vertu de l’alinéa 8a) de la Loi – contravention de l’alinéa 11(1)c) de la Loi – en omettant de promptement à la disposition du public de l’information faisant état de cas fondés d’actes répréhensibles au sein du MDN; et
  • Le MDN a commis des actes répréhensibles en vertu de l’alinéa 8c) de la Loi – cas graves de mauvaise gestion :
    • En omettant de mettre promptement à la disposition du public de l’information faisant état d’un cas fondé d’actes répréhensibles au sein des Forces; et
    • En n’informant pas les divulgateurs des conclusions des enquêtes sur les actes répréhensibles au sein du MDN et des Forces.

Aperçu de notre enquête

Mme Christine Denis, une enquêteure principale au sein du Commissariat, a mené notre enquête. Elle a interviewé six témoins et examiné de nombreux documents.

Conformément à notre obligation de respecter la justice naturelle et l’équité procédurale, le Commissariat a donné à Mme Jody Thomas, ancienne sous-ministre du MDN, et à M. Bill Matthews, actuel sous-ministre, la possibilité de répondre aux allégations en leur remettant notre rapport d’enquête préliminaire pour examen et commentaires.

Pour parvenir à mes conclusions, j’ai dûment pris en considération toutes les informations reçues au cours de notre enquête, y compris les commentaires en réponse à notre rapport d’enquête préliminaire.

Compte tenu de l’objet du présent rapport et de la norme de service mise en place par le Commissariat, qui consiste à conclure une enquête en l’espace d’un an, je souhaiterais expliquer pourquoi notre enquête a duré aussi longtemps.

Le Commissariat a lancé une enquête initiale en octobre 2020 et son champ d’application a été élargi en février 2021. Comme je l’ai mentionné dans mes récents rapports annuels, les premières années qui ont suivi le début de la pandémie de COVID-19 ont eu un impact profond sur la capacité du Commissariat à mener des enquêtes. De nombreuses organisations ont tardé à fournir des documents clés au Commissariat, car leurs employés ne travaillaient pas sur place. En outre, dans ce présent cas, un témoin clé n’a pas pu participer à notre enquête pendant près d’un an. Une fois que le Commissariat a été en mesure de reprendre notre enquête, celle-ci a été conclue aussi rapidement que possible. La date du dépôt de ce rapport se situe dans le délai de 60 jours prévu par la Loi.

Facteurs pris en considération pour conclure à l’existence d’un acte répréhensible

Pour que le commissaire puisse conclure à l’existence d’un acte répréhensible, défini à l’article 8 de la Loi, la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités. En droit canadien, cette norme de preuve signifie généralement qu’une conclusion est plus probable qu’une autre; en d’autres termes, il y a une plus grande probabilité d’une chose que d’une autre.

Contravention d’une loi

Un acte répréhensible est défini aux termes de l’alinéa 8a) de la Loi ainsi : « La contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi. »

Cas graves de mauvaise gestion

Lorsqu’il y a enquête sur une allégation de cas grave de mauvaise gestion au sens de l’alinéa 8c) de la Loi, le Commissariat tient notamment compte des facteurs suivants :

  • des problèmes importants;
  • de graves erreurs non sujettes à débat entre des personnes raisonnables;
  • des actes qui dépassent le simple acte répréhensible ou la simple négligence;
  • des actes ou des omissions de la gestion qui créent un risque important de conséquences néfastes graves sur la capacité de l’organisme, du bureau ou de la section de s’acquitter de sa mission;
  • des actes ou des omissions de la gestion qui représentent une grave menace pour la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, et il ne s’agit pas principalement d’une affaire de nature personnelle telle qu’une plainte individuelle de harcèlement ou un grief individuel relatif au milieu de travail;
  • la nature intentionnelle de l’acte;
  • la nature systémique de l’acte répréhensible.

Résumé des conclusions

Lorsqu’il y a un cas fondé d’actes répréhensibles découlant d’une divulgation interne, « [le] Secrétariat du Conseil du Trésor a établi que les renseignements devraient normalement être rendus publics dans un délai de 60 jours. Ce délai de 60 jours débute à partir du moment où l’administrateur général confirme la constatation de l’acte répréhensible. » Lorsqu’il y a constatation d’actes répréhensibles à la suite d’une divulgation effectuée dans le cadre du processus de divulgation au sein des Forces, ce processus exige également que le public ait accès à l’information. Les informations sur les cas fondés d’actes répréhensibles sont affichées sur le site Web du MDN.

Les informations obtenues au cours de notre enquête montrent qu’entre 2015 et 2020, le MDN a tardé à plusieurs reprises à publier les informations relatives à des cas fondés d’actes répréhensibles au sein du MDN et des Forces. Il y a eu non seulement des retards sans justification dans la prise de décision, mais, même après ces décisions tardives, les informations sur des cas fondés d’actes répréhensibles n’ont pas été promptement rendues publiques. En fait, ces informations n’ont été rendues publiques qu’après le lancement de notre enquête.

Lorsque le Commissariat a lancé une enquête en octobre 2020, le site Web du MDN ne comprenait que des informations sur les cas fondés d’actes répréhensibles jusqu’à l’exercice 2014-2015. Notre enquête a porté sur les cas fondés d’actes répréhensibles entre 2015, année de la dernière mise à jour du site Web du MDN, et 2020, année du lancement de notre enquête. Dans cette période, il y a eu trois cas fondés d’actes répréhensibles au sein du MDN et des Forces. Chacun de ces cas n’a pas été rendu public sur le site Web du MDN qu’en 2021 ou 2022, soit après le lancement de notre enquête.

Premier cas

En novembre 2016, un employé du MDN a fait une divulgation d’actes répréhensibles et une enquête interne a été lancée en décembre 2016. Le divulgateur a suivi l’état d’avancement de cette enquête à deux reprises. Le 12 avril 2019, le divulgateur a envoyé un courriel à l’enquêteur de la DEES pour exprimer sa déception de ne pas avoir été informé des conclusions de l’enquête. L’enquêteur a répondu le même jour pour expliquer que [traductions] « l’enquête a été conclue et [que] le rapport a été soumis pour examen », que la « prochaine étape [...] est que le SMA(SE) approuve les conclusions », et que l’enquêteur ne pouvait informer le divulgateur des résultats qu’après cette approbation. Le divulgateur a assuré un second suivi par voie d’une lettre datée du 18 novembre 2020, demandant une mise à jour sur le statut de l’enquête, parce que les conclusions n’étaient toujours pas connues quatre ans après sa divulgation interne.

Selon le rapport d’enquête de la DEES de novembre 2020, l’allégation d’actes répréhensibles divulguée en novembre 2016 était fondée. Le divulgateur a été informé par courriel des conclusions de l’enquête le 6 mai 2022, soit 18 mois après le rapport final. Le même jour, les informations sur les conclusions de cette enquête ont été affichées sur le site Web du MDN.

Deuxième cas

À la suite d’une divulgation par un membre des Forces, la DEES a conclu à l’existence d’un acte répréhensible en juin 2018. Les fonctionnaires responsables ont signé une évaluation de l’acte répréhensible en septembre 2018, et la constatation de l’acte répréhensible a été approuvée en octobre 2018.

Le 24 avril 2019, le divulgateur a été informé par courriel que l’enquête interne avait été conclue et que l’allégation d’actes répréhensibles était fondée. C’était la première fois que le divulgateur était informé, six mois après la conclusion de l’enquête. Ce n’est qu’en janvier 2020 que les fonctionnaires ont fourni une proposition de texte à afficher sur le site Web du MDN. Par la suite, les fonctionnaires ont tenté à deux reprises d’obtenir l’approbation de ce texte.

Finalement, deux ans plus tard, le 15 février 2022, le divulgateur a reçu un courriel l’informant pour la deuxième fois des conclusions de l’enquête. C’est également à cette date que les informations concernant le cas fondé d’actes répréhensibles ont été affichées sur le site Web du MDN.

Il y a eu plus de 43 mois de retard entre la conclusion de l’enquête et la publication des conclusions. Il n’est pas certain que le rapport aurait été publié si le Commissariat n’avait pas lancé une enquête. L’enquêteure du Commissariat n’a trouvé aucune preuve convaincante permettant d’affirmer que ce retard était nécessaire ou raisonnable.

Troisième cas

En décembre 2019, la DEES a conclu à l’existence d’un acte répréhensible après avoir mené une enquête sur une allégation divulguée par un employé du MDN. Le divulgateur a reçu un courriel le 24 janvier 2020 l’informant des conclusions de l’enquête.

Les informations relatives à ce cas fondé d’actes répréhensibles ont été affichées sur le site Web du MDN le 4 août 2021. Il a fallu plus de 20 mois pour que les conclusions soient approuvées.

Calendrier des enquêtes internes, de leurs conclusions et de la publication des cas fondés

 Premier casDeuxième casTroisième cas
Le rapport de la DEES est remis au SMA(SE)novembre 2020juin 2018décembre 2019
La constatation d’actes répréhensibles est approuvée17 février 202231 octobre 20187 juin 2021
Le divulgateur apprend les conclusions6 mai 202224 avril 2019 et 15 février 202224 janvier 2020
L’avis public est émis6 mai 202215 février 20224 août 2021
Retard entre le rapport de la DEES et l’avis publicplus de 18 moisplus de 43 moisplus de 20 mois

Des retards systémiques

Tout au long de notre enquête, la preuve a soutenu une tendance quant au processus de divulgation au sein du MDN et des Forces. Les cas fondés d’actes répréhensibles n’étaient pas publiés et, dans certains cas, les divulgateurs n’apprennent pas les conclusions des enquêtes internes en temps opportun. Les témoins ont fait part de leurs nombreuses préoccupations quant à la manière dont les affaires étaient traitées. En voici des exemples :

  • De l’avis d’un témoin, l’affaire était très embarrassante pour le MDN et [traduction] « cela n’avait aucun sens. L’enquête [interne] avait été conclue, les lettres avaient été rédigées [et la direction] n’avait qu’à signer l’examen. Il n’y a aucune raison que ça soit resté dans [ce] bureau ».
  • Un témoin a déclaré que, bien qu’il ait informé des dirigeants d’un cas en juillet 2021, il avait décidé de conserver le dossier et de ne pas le communiquer à la direction, car il craignait qu’on ne le perde ou tarde, ce qui s’était produit avec des dossiers antérieurs.
  • Un témoin a indiqué que, par le passé, les décisions relatives aux enquêtes internes sur les actes répréhensibles prenaient généralement un ou deux mois. Dans le cas de ces enquêtes, les retards à l’étape de la décision ont dépassé un an.
  • Un témoin a indiqué que des dossiers avaient été remis à la direction pour décision [traduction] « pour ne plus jamais être conclus ».
  • Un témoin a indiqué que la procédure subséquente à une enquête interne n’est que « chaos » et qu’il n’y avait pas d’attentes claires de la part des dirigeants.
  • Un témoin a indiqué qu’en dépit des efforts de suivi déployés par la DEES, il fallait souvent des mois pour avoir une idée de ce qui se passait dans un dossier et qu’il y avait [traduction] « une nouvelle série de questions ou le besoin d’informer la direction à maintes reprises ».
  • Deux témoins ont déclaré que la direction avait tardé à communiquer un dossier sans raison. L’un d’entre eux a indiqué que des documents connexes avaient dû être rédigés avec de nouvelles dates environ sept fois, parce que la direction semblait incapable de prendre une décision.
  • Lors d’un entretien avec le Commissariat, l’ancienne sous-ministre du MDN a déclaré qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé pour expliquer le retard dans l’accès du public à un cas fondé d’actes répréhensibles. Selon elle, il n’y avait aucune raison de ne pas publier ces conclusions.

Compte tenu des éléments de preuve découverts et examinés au cours de notre enquête, il est clair qu’il y a eu une défaillance dans la gestion du processus de divulgation au sein du MDN et des Forces. Le fait qu’il y ait des retards inacceptables à conclure ces enquêtes internes, peu importe leur durée, soulève un problème systémique dans le processus de divulgation au sein du MDN et des Forces, ainsi qu’un manque d’obligation de rendre compte et de responsabilité.

L’incapacité à mettre promptement à la disposition du public de l’information faisant état de cas fondés d’actes répréhensibles et à informer les divulgateurs des conclusions des enquêtes internes est une question d’une grande importance, car elle a ébranlé la confiance dans le processus de divulgation interne de la part des employés du MDN ou des membres des Forces qui avaient fait une divulgation interne d’actes répréhensibles. Dans un cas, la confiance était ébranlée à un tel point qu’un membre de la DEES a suggéré à un employé du MDN de s’adresser au Commissariat parce que la situation était devenue « ridicule ». De plus, les éléments de preuve suggèrent que le membre des Forces qui a fait une divulgation interne envisageait de s’adresser aux médias si l’accès du public aux informations sur ce cas fondé d’actes répréhensibles continuait à encourir des retards.

En particulier, plus de 43 mois se sont écoulés entre la constatation de l’acte répréhensible et la mise à disposition de l’information au public dans le deuxième cas, qui concernait une allégation selon laquelle les infractions prononcées lors des procédures de la cour martiale n’étaient pas passibles en temps voulu ou n’étaient pas passibles du tout. Compte tenu de la nature de cette constatation, j’estime qu’un tel retard a eu un impact négatif significatif sur la transparence, le contrôle et la responsabilité du gouvernement, qui sont des objectifs d’intérêt public importants qui ne sont soutenus que lorsque de l’information faisant état d’actes répréhensibles est mise promptement à la disposition du public. À cet égard, le retard dans la publication des cas fondés a gravement ébranlé la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique; particulièrement, au sein du MDN et des Forces.

Les circonstances entourant les retards et la longueur de ceux-ci quant à l’accès du public aux informations suggèrent que la mauvaise gestion de ces dossiers était également plus qu’un acte répréhensible insignifiant ou une faute légère. De nombreuses personnes ont tenté de faire avancer les dossiers par des suivis et des rappels et, au cours de la période que nous avons examinée, aucun des cas fondés d’actes répréhensibles au sein du MDN et des Forces n’a été rendu public avant le lancement de notre enquête. Ceci constitue une erreur grave qui n’est pas sujette à débat entre des personnes raisonnables.

L’action, ou l’inaction, du MDN a semé la confusion et miné la confiance; les employés du MDN et les membres des Forces qui font une divulgation interne d’actes répréhensibles s’attendent à ce que certaines mesures soient prises conformément aux Directives et ordonnances administratives de la défense, ainsi qu’à la Loi, comme de mettre promptement à la disposition du public de l’information faisant état de l’enquête interne et des conclusions qui en découlent. Au lieu de cela, les divulgateurs ont été contraints d’attendre pendant des périodes déraisonnables pour connaître les conclusions de ces enquêtes, et les Canadiens n’ont pas été informés des actes répréhensibles en temps opportun.

Conclusion

La Loi a été établie pour maintenir et renforcer la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires et dans les institutions publiques. À cette fin, la Loi exige que le Commissariat dépose les cas fondés devant le Parlement dans les 60 jours suivant la constatation d’actes répréhensibles, et que tout administrateur général des organisations fédérales mette promptement à la disposition du public de l’information faisant état de cas fondés d’actes répréhensibles. Dans ce cas particulier, on ne peut tout simplement pas affirmer que la publication des informations était opportune. En fait, les informations sur ces actes répréhensibles n’ont été rendues publiques qu’après le lancement de notre l’enquête.

Les conclusions de notre enquête sont troublantes. Les fonctionnaires doivent pouvoir faire confiance à la haute direction. Faire une divulgation d’actes répréhensibles est un acte de courage d’une grande difficulté, et les personnes qui font une divulgation ont le droit d’être informées des mesures prises à la suite de leurs divulgations et de s’attendre à ce que tout cas fondé soit porté à la connaissance du public. Malheureusement, dans le cas présent, les divulgateurs ont été laissés dans l’ignorance et n’ont eu d’autre choix que de lancer l’alerte à nouveau, cette fois au sujet des personnes mêmes qui étaient censées faire la lumière sur les actes répréhensibles.

À plusieurs reprises, j’ai parlé de la nécessité d’un changement de culture au sein du secteur public fédéral. Les résultats du dernier Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux indiquent que seuls 49 % des employés estiment qu’ils peuvent engager une procédure de recours formelle sans crainte de représailles. Ce résultat souligne la nécessité pour tout haut dirigeant de créer des environnements où les lanceurs d’alerte se sentent appuyés et en sécurité.

Outre la crainte des représailles, les recherches menées par le Commissariat montrent que les fonctionnaires pensent qu’il ne sert à rien de dénoncer les abus, parce qu’il n’y aura pas de conséquences pour les auteurs de méfaits et que les choses ne changeront jamais. La crainte et le cynisme constituent un puissant facteur de dissuasion pour les lanceurs d’alerte et sapent l’objectif de la Loi, ainsi que la confiance dans le secteur public fédéral. En tardant à publier des conclusions des enquêtes internes, le MDN a contribué à ce cynisme et a déçu ses employés, en plus d’ébranler leur confiance dans le système même conçu pour les protéger et pour mettre au jour les actes répréhensibles.

Par conséquent, je conclus que le MDN a commis un acte répréhensible et que son inaction constitue une contravention de la Loi, conformément à l’alinéa 8a) de la Loi, ainsi qu’un cas grave de mauvaise gestion, conformément à l’alinéa 8c) de la Loi.

Recommandations du commissaire et réponses du MDN

Conformément à l’alinéa 22h) de Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi), j’ai fait les recommandations suivantes à M. Bill Matthews, sous-ministre du ministère de la Défense nationale (MDN), en sa qualité d’administrateur général, concernant des mesures correctives. Le Commissariat demandera un compte rendu sur toutes les trois recommandations au cours des six prochains mois pour assurer qu’elles sont dûment prises en compte.

Voici mes recommandations et les réponses du MDN :

1. Je recommande que le MDN mette sur pied un processus de formation ou d’orientation pour tous les employés qui participent à l’administration de la Loi, y compris les dirigeants, afin de s’assurer qu’ils connaissent la Loi et qu’ils s’engagent à l’appliquer.

Le MDN accepte la recommandation et collaborera avec le Secrétariat du Conseil du Trésor et le commissaire à l’intégrité du secteur public pour veiller à ce que les cadres supérieurs et les employés reçoivent une formation leur permettant d’appliquer efficacement la loi.

2. Je recommande la mise en œuvre d’une vérification périodique du processus de divulgation au sein du MDN afin de déterminer le nombre de divulgations, d’enquêtes lancées et de cas fondés d’actes répréhensibles, et d’assurer qu’une publication rapide a eu lieu, le cas échéant.

Le MDN accepte la recommandation et mettra en œuvre un audit cyclique du programme de divulgation interne afin de vérifier le nombre de divulgations, d’enquêtes lancées et de cas d’actes répréhensibles fondés, et de garantir la publication rapide de renseignements exacts.

Le MDN continuera à fournir un rapport annuel au ministre sur les statistiques et les activités liées à la loi dans le cadre de sa réponse à la recommandation numéro 42 de l’examen externe indépendant et complet mené par l’honorable Louise Arbour et publié le 20 mai 2022.

3. Je recommande que le MDN entreprenne une évaluation annuelle du processus de divulgation au sein du MDN et des Forces, pendant au moins trois ans, de sorte que le sous-ministre ait l’assurance que le processus est géré efficacement.

Le MDN accepte la recommandation et élaborera un plan d’évaluation annuel pour s’assurer que le programme est géré efficacement.

Commentaires additionnels du MDN

Le ministère de la Défense nationale (MDN) accepte les recommandations contenues dans le rapport du commissaire à l’intégrité du secteur public et s’engage à veiller à ce que les employés aient la confiance nécessaire pour divulguer les actes répréhensibles.

Le MDN est résolu à réduire les échéances pour mener à bien les enquêtes. Des progrès ont été réalisés grâce à l’élaboration d’outils administratifs destinés à améliorer les processus de notification, et à la mise en place d’activités de suivi et d’établissement de rapports plus ciblées en ce qui concerne les enquêtes, notamment pour veiller à ce que la direction générale soit informée bien à l’avance des enquêtes qui pourraient être sur le point d’être terminées.

Le MDN utilisera les conclusions et les recommandations du commissaire pour orienter les efforts en cours et les travaux plus larges sur la conduite professionnelle ainsi que sur les améliorations à apporter à la culture de l’Équipe de la Défense. Le MDN est reconnaissant au commissaire à l’intégrité du secteur public pour son travail et est déterminé à collaborer avec le Commissariat pour la mise en œuvre des recommandations.